Le thym et le romarin

Fraîchement catapulté dans la France méridionale, scintillent devant mes yeux bling-bling balnéaire et azur méditerranéen
Tranchants avec la mode locale, mes oripeaux de randonneur clopinent sur la plage de galets en quête d’un coin pour petit-déjeuner. Je découvre alors stupéfait que la clandestinité s’est faufilée dans mon paquetage

Planqué·e·s dans mes affaires et affamé·e·s par leur voyage, Jade et Saphir bondissent engloutir mes vivres
Allégé par mes potos morfales, je quitte l’ambiance littorale en leur compagnie pour une ascension urbaine puis pour un flanc à l’ombre d’une forêt éparse

Un faucon crécerelle pratiquant le vol du Saint-Esprit me guide vers les côteaux viticoles perchés

Les flèches de mon parcours m’orientent en toute logique vers une terrasse d’archerie pour la nuitée

Au petit matin, les méandres du Var agonisent en traversant l’hubris anthropique qui résonne en contrebas
Féral, mon esprit s’extirpe de tout ce tintamarre à travers les senteurs de thym sauvage

D’ailleurs, mes 2 compères ne peuvent s’empêcher de butiner les fleurs de farigoulette
Mes yeux s’égarent dans la verte ligne d’horizon, dissimulant les merveilles à venir, j’aimerais l’atteindre, passer derrière, y célébrer ma déraison
Une soudaine giboulée de glace céleste met fin à mes songes et m’invite à me délasser, pendant qu’elle pianote ses gammes
Le lendemain, le vendeur de l’épicerie me livre mes fruits avec le constat météo de la nuit dernière : jusqu’à 5 cm de grêle et de neige dans la vallée voisine de mon bivouac

Effectivement, la blancheur resplendit, même en secteur forestier

N’en déplaise à Saphir et Jade, qui s’offrent une session de ventriglisse

Je mets un terme à une journée de montées et descentes sur une plage de l’Estéron, heureux comme un prince, le bivouac est un luxe qui rend difficilement supportables, plus tard, les nuits dans les palaces

Mes pas matinaux contournent ceux d’un geôlier canin qui veille aux bêlements d’esclaves laitières

Les 2 chéloniens de leur côté s’enivrent nasalement du romarin alentour

La porte royale d’Entrevaux accueille mes épaules de haut dignitaire
Provisions à sec et unique épicerie de la cité fortifiée close, j’entreprends un détour afin de remplir ma besace pour la suite de mon périple

Afin d’éviter de revenir sur mes pas après mes emplettes, je tente un sentier magique : il disparaît et apparaît à plusieurs reprises
I want to live in fire
With all the taste I desire
It’s all good if you let me dive
With some sharks on the ground
You lose your routine
You lose your routine
You lose your routine
‘Cause I found my path
Apocalyptica avec Sandra Nasic Path, Vol. 2

Les 2 tortues jouent aux druides afin d’attirer les auspices favorables pour la suite du voyage
La montée caniculaire se poursuit jusqu’à la chapelle de Saint-Jean-du-Désert, lieu de pèlerinage ancien et isolé

Le corniche juchée au-dessus du ravin Saint-Jean m’expédie tout droit vers Annot

Charmé, j’admire les punaises arlequin dévorer leur souper sur mon chemin
Dans la bourgade, je croise Romain, qui revient d’une session de course en montagne. Très curieux, il mitraille ma caboche éreintée de questions à propos de mes treks

Dans la forêt du coin, poussent des champignons minéraux singuliers, taillés par une incessante érosion
Site prisé par les grimpeur·euse·s, j’ai manqué de peu une fête dédiée à la pratique du bloc qui s’y est déroulée

Ni une ni deux, les 2 garnements assaillent la roche pour perfectionner leurs rési et conti, avec crash pad naturel de fougère pour la sécurité

Perché sur sa terrasse alluviale émaillée de genêts, Méailles domine la vallée de la Vaïre

Les sauriens-schtroumpfs se dorent le gosier de bleu solaire
Entravé par une propriété privée, mon rêve de m’endormir dorloté par la Vaïre s’évapore, Pierre-Joseph Proudhon lui se retourne dans sa tombe. Pour esquiver un demi-tour, j’accepte que les buis me lacèrent les bras. Je tombe sur un panneau sorti de nulle part, qui indique un sentier discret, absent de mes cartes

Dubitatif, je tente quand même le coup et finis par rallier la déconcertante halte de Peyresq, camouflée en fond de vallée
Un pannonceau indique le village de Peyresq à 3 heures de marche, en montée, je me gondole à l’idée des quiproquos qu’il y a pu avoir avec cette halte
Je dresse mon bivouac sur une zone moussue plus loin, à la confluence du Ray et de la Vaïre, abdomen empli d’une immense joie par la berceuse de clapotis
En début de journée, mon enjambée croise celle de Julien, qui vient de Seyne, carapace chargée lui aussi. Il profite de quelques jours pour aller crapahuter, il ne sait pas encore trop jusqu’où. L’itinéraire qu’il a emprunté correspond peu ou prou à mes étapes futures et s’annonce a priori sans neige
Je poursuis dans un univers féérique printanier où les rencontres fantastiques prolifèrent
Ce matin j’imagine un dessin sans étoiles
De toutes les couleurs, un dessin sans contours
Des jaunes, des verts, des blancs, je fais ce qui me plaît
Car c’est comme ça que j’imagine un monde parfait
Un oiseau, un enfant, une chèvre
Le bleu du ciel, un beau sourire du bout des lèvres
Un crocodile, une vache, du soleil
Et ce soir je m’endors au pays des merveilles
Ilona Mitrecey Un monde parfait

Jade et Saphir imitent les chenilles processionnaires

Une vanesse des chardons embrase mon cœur

Je brave les caresses affectueuses d’une panthère

La minuscule vivacité des troglodytes mignons m’enjaille jusqu’à mon lieu de bivouac

Une fois à proximité du lit du Verdon, ne me reste qu’à clore les paupières pour continuer de planer dans ce macrocosme angélique
Détails d’étapes :
- 7 étapes
-
- 138 km
- +7700 m
- -6500 m
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