Les paillettes immaculées

L’atmosphère est encore accablée ce matin, je me dépêtre difficilement de ma léthargie

Mon entrain frivole disperse les nuages au fur et à mesure au-dessus de la vallée de l’Eychauda
Mes pas rejoignent ceux d’Inès, planquée sous sa lourde bosse dorsale, qui a fugué de sa vie parisienne pour quelques jours. Alors que les escadrons de chocards décollent les uns après les autres à notre vue, elle me narre son tour des Écrins qu’elle a démarré hier

Aguilas et Thomas nous rejoignent dans les passages à gué mélodieux, eux aussi embarqués dans le tour du parc national cher aux alpinistes

La cuivrée des bras par le soleil (que ne faut-il pas faire pour s’assortir aux couleurs des GR) et moi-même installons notre bivouac à proximité du Grand Tabuc
Nos 2 compères se sont installés à peine plus loin après leurs courses. Thomas nous rend visite pour la soirée, pendant qu’Aguilas, éreinté par sa journée, roupille déjà
L’aurore du lendemain chouine, on patiente sagement avant de tailler la route puis je me se sépare de mes potos d’étape

Les larmes vaporeuses des Écrins escortent mon envolée vers les Cerces

Les nuages peinent à se disperser au-dessus du Grand Aréa

Météo toujours lugubre, les 2 brigands préfèrent jouer aux jeux vidéo
Je m’abrite du vent dans le creux d’un reste d’ouvrage militaire pour grailler, avant de redescendre dans la vallée de la Clarée. La fonte printanière et l’humidité des derniers jours l’ont transformée en une mare gigantesque ! Les écarts du sentier sont moelleux sous mes pieds mais vraiment humides

L’indolence du cours d’eau gorge mon âme de sérénité pour le reste de la journée

Quelques courageuses âmes matinales osent affronter le vent glacial qui caresse l’échine de la vallée

Je foule les dentelles nivales des hauts plateaux à travers un voile de brume frisquet
Cover me with snow
Freeze me to death
Forever I’ll lay in the alpine bed
Seasons will change
But I shall remain
Stripped bare of my coat
I will rest in peace
Cellar Darling Avalanche

Les rides des lacs pétrifiés subliment l’hostile splendeur des lieux
Je sors de la vallée, brume et neige finissent par se dissiper. J’enlève mes rondelles pour les ranger, à peine le temps de me retourner, elles se sont volatilisées

Je retrouve mes shurikens entre les mains des 2 crapules qui jouent aux ninjas
Je transite par une immense station de ski, où foisonnent les marmottes, défigurée par d’innombrables remontées mécaniques

Au bout de la station, c’est au tour des hauts sommets de la Vanoise de me faire les yeux doux

Je termine mon étape dans une immense forêt, déchiquetée par le râle de la route. La bête se sait menacée. Le mouvement perpétuel à deux euros le litre ne peut pas durer éternellement
Youk, un magnifique husky matinal et joueur me guide vers Saint-Michel pour mon réapprovisionnement. Décontenancé par la situation, j’hésite : le laisser se délecter de sa liberté ou l’accompagner de près pour le protéger des écraseuses, avec le risque qu’il me suive le reste de mon périple. Une balise à son cou moucharde ses déambulations à ses esclaves, et m’allège rapidement de cette responsabilité

À nouveau lesté de victuailles caloriques, je poursuis mon aventure le long des réfrigérateurs naturels ascencionnels

Derrière moi, plane une épaisse purée de pois intrigante, qui dissimule mon cheminement de la veille
Selon un randonneur que je croise, elle viendrait des incendies au Canada du mois dernier. Grande cause mais petites conséquences pour nous européens bien lotis face au dérèglement climatique, homo economicus n’est pas prêt de renoncer à ses frasques…
Je remets mes deux écouteurs, posé parce que dehors ça gronde
Et j’reste à côté du radiateur dans l’carré V.I.P. du monde […]
Dehors y a grabuge
Mais personne ne bouge
Gaël Faye Dinosaures

Hors de la zone boisée, la chaleur m’écrase au sol jusqu’au Petit Col des Encombres

Juste avant la vallée des Belleville, à la vue du plus haut phare d’Europe occidentale flottant dans la brume, un gouleyant torrent d’émotions déborde de mes yeux

Saphir et Jade se rendent au salon de coiffure et se crêtent le chignon pour l’occasion #PinkPunk
Je suinte par tous les pores de mon corps, j’écope la sueur du navire en ponctuant ma remontée de nombreuses pauses à l’ombre

Le roc de la Lune achève mon calvaire en me récompensant d’une magnifique vue sur le Mont Blanc
Surprise à la descente, une immense zone ravagée par des machines de destruction d’arbres est bloquée par un arrêté municipal. Hors de question de faire demi-tour, je minimise ma présence dans l’aire interdite et décide de finir son long contournement demain
Je dévale la zone forestière et arrive de bon matin aux thermes des Salins. J’essaye de me retenir de sourire devant le cliché du lot de curistes à la chevelure grise débarquant du bus et avançant d’un pas digne de la Marche de l’Empereur

Moûtiers sommeille encore, pas âme qui vive, Ennio Morricone pourrait lui composer sa musique d’ambiance
Je passe à la gare faire le plein d’énergie électrique puis au supermarché pour le plein d’énergie organique. La fierté savoyarde s’affiche sur toutes les enseignes, ainsi que sur les produits de la grande surface
Je décide de me hisser jusqu’à Hautecour en début d’après-midi avec mon lourd paquetage, malgré la chaleur

Un lac avec jet d’eau et emmailloté de nombreuses œuvres d’art, engagées, poétiques et/ou philosophiques, me reçoivent
Une création en particulier m’interpelle :

“S’il te plaît, sculpte-moi un dragon”, Alex Berlioz
Un certain Petit Prince demande à un artiste de lui sculpter un dragon. À l’instar d’un certain aviateur, le sculpteur lui offre une simple caisse avec un dragon à l’intérieur. Contrairement au mouton du chef-d’œuvre de Saint-Exupéry, le dragon s’en extirpe pour rejoindre la liberté

Les 2 thérapeutes closent mon étape par une session d’acupuncture-vaudou des pieds
Everyone will leave here bewitched
Your pulse going faster
Yes, it’s magic, must be magic
Pure black magic that we cannot control
Spooky shadow hider, show your voodoo heart
Abra cadabra, hocus-pocus fidibus
Kontrust Hocus Pocus
Je reprends mon ascension dès potron-minet, pour minimiser les chaleurs qui m’attendent aujourd’hui

Je fais la connaissance de Margot et Léo, venu·e·s hier soir profiter de la pleine lune des fraises depuis la terrasse d’un abri
Margot revient d’

Jade et Saphir mènent la fronde contre les golems d’acier qui scarifient la montagne

La chaleur tape sur le ciboulot et dans le stock d’eau, je passe en mode touareg avec ma serviette sur la tête et m’abreuve des précieux cristaux de glace sur ma route

Fort heureusement, la neige coule à flot dans le creux du crêt du Rey. Je me case entre les bouses sèches, demain attendra
今度 は 今度 ,今 は 今
Hirayama Perfect Days

Tôt le matin, je croise Michaël et ses ampoules jusqu’au sang
Il dissipe la douleur que j’éprouve pour lui en m’expliquant qu’il ne lui reste plus qu’1 jour ou 2 pour terminer son tour du Beaufortain

Col enneigé relativement pentu et murmures du silence d’après encore dans mes oreilles me poussent à chausser mes crampons

Jade et Saphir, exceptionnellement sages à mon grand étonnement, s’arnachent aussi

Le lac d’Amour fredonne sous le soleil qui met du cœur à l’ouvrage, je parfais ma tenue de touareg bleu

Les affluents du Treicol déversent leur rage et mastiquent les sentiers bruyamment

Le soleil me cloue au sol, je souffle un long moment à l’ombre d’un buisson au-dessus du lac de Roselend

Un traquet motteux compatissant opine du derche et m’oriente vers une zone avec cours d’eau où me délasser

En compagnie de l’Aiguille du Grand Fond, je passe une partie de la soirée à observer les nuages. Le plus pieux métier du monde
Détails d’étapes :
- 8 étapes
-
- 155 km
- +9450 m
- -8400 m
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