De Uvernet à Saint-Sauveur-sur-Tinée
Mauvais rêve derrière moi, j’entrouve les yeux dans la quiétude du lit du Bachelard

Tel un rein, le cours d’eau élimine les toxines grises accumulées la veille par les pluies diluviennes
Comme un besoin de me laver de la frénésie urbaine de rentrée et surtout des affres anti-démocratiques récentes, mon corps réclame lui aussi une ablution rituelle itinérante
Qui veut poser six pieds sur terre
Qui veut s’échapper de l’abysse
Qui veut sortir du RER
S’enfuir du Metropolis
Qui cherche station outre-mer
Heureux qui kiffe comme Ulysse
La Caravane Passe Exode exotique
Après de trop longues dizaines de minutes, mon pouce perd patience face aux bolides matinaux trop empressés pour trimballer un hobo jusqu’au col de la Cayolle. J’entame donc mon excursion par un grand détour en me mettant en route dès Uvernet

Le Grand Cheval de Bois m’invite à basculer sur son flanc sud pour faire joujou
Je me retrouve sur un sentier de roches argilo-calcaires noires qui se dérobent sous mes pieds, j’en viens même à pratiquer de l’escalade sur des portions glissantes

Je finis par m’extirper comme je peux et préfère rejoindre la route goudronnée au-dessus après une dernière session de varappe

L’attraction du début d’après-midi consiste en un troupeau de 1600 moutons, je me tiens à l’écart pour les laisser passer
La voiture-balai les talonne : une meute d’une douzaine de canidés, dont me protègent les 2 berg·ère·er·s qui les accompagnent

Au col d’Allos, dont l’accès routier est coupé à cause des intempéries, pas un bruit, seuls les tissus adipeux des marmottes engraissés par la saison estivale dodelinent à mon passage

Accueilli par de mélodieuses stridulations, me voilà enfin dans le parc du Mercantour !

La suite se fait interminable mais ô combien magique le long de la hanche minérale complètement érodée

Le soleil se dissimule derrière mon échine lorsque j’atteins les cabanes du Talon
Le lendemain, les formations rocheuses me dilatent les pupilles, sérénité et liberté effleurent voluptueusement mon âme

Le sentier remonte le Bouchier et passe au pied de la cascade du même nom…

…où une famille d’ongulés me fait une démonstration de grimpe
Au col de la Cayolle, nombre de cyclistes motivé·e·s poussent sur leurs pédales sous les hurlements des moteurs qui résonnent dans la vallée

Je me pose pour grignoter quelques instants à l’abri du grabuge et des coups de chaud solaires

Mon cheminement continue de se dessiner entre la Tête de Gorgias et la Roche Grande
Lorsque la fin de journée commence à se faire sentir, j’installe ma tente peu après une bergerie
Les moutons viennent se donner en spectacle, je songe à écrire une thèse sur les mouvements stochastiques ovins en milieu minéral alpin

Je traîne patiemment jusqu’à ce que la pénombre matinale se retire pour quitter mes quartiers dans des conditions de températures moins frisquettes

Une enfilade de casemates orientent mes pas vers le col de Gialorgues

Ascension plutôt bien cairnée, je me juche quelques instants sur la cime de Pal pour profiter de la tranquilité des lieux
Pour éviter un immense détour, je tente la descente sur le versant est

Absence complète de sentier, pierriers peu stables, le rythme de mes pas contraste avec ma fréquence cardiaque
Je termine ma plongée adrénalinesque à tous petits pas et échoue dans un régiment de moutons
Le jeune pâtre qui les garde rappelle son trio de chiens pour que je puisse avancer dans les magnifiques marnes noires vallonnées

Suit une descente dans et à côté d’un lit de terre noire, où le sentier disparaît à plusieurs reprises, l’ardoise friable ne résiste pas aux pluies

Le clair Mont Férant
Avec toutes mes péripéties, l’après-midi est déjà bien avancée, j’enquille sur une montée toute douce jusqu’à Sallevieille

Une immense barre rocheuse m’invite à procrastiner, j’accepte avec grand plaisir de me délasser juste à côté des clapotis d’un ruisseau pour la nuit

Après mon petit déjeuner, je devine dans le lointain une vingtaine de nettoyeurs volants prendre le leur, se disputant les meilleurs morceaux d’une probable carcasse fraîche
Je poursuis mon ascension dans un silence matinal le plus total

Seuls quelques dandinements caudaux d’un vaillant traquet motteux rajoutent de la vie aux amoncellements de pierres

Le Grand Mounier
La besace bien vide, un détour hors du Mercantour s’impose pour me ravitailler
Ой, легка, легка коробушка
Плеч не режет ремешок!
Николай Некрасов Коробе́йники
Des nuées de papillons accompagnent ma descente à travers les villages haut-perchés surplombants la vallée de la Vionène

Ma dégringolande infernale arbore des teintes lie-de-vin et se parfume d’effluves de thym
Les lacets infinis rougeoyants me font atterir à Saint-Sauveur-sur-Tinée, où je fais la connaissance de Thomas, Olivier et Éric
Le 1er, blindé d’ampoules, s’initie doucement à l’itinérance à pied. Les 2 autres, plus aguerris, se sont rencontrés sur le GR5, et sentant la fin de leur aventure proche, préfèrent traîner la patte pour faire durer leur bonheur nomade
Détails d’étapes :
- 4 étapes
- Beau ciel
- 83 km
- +4900 m
- -5600 m
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