De Saint-Sauveur-sur-Tinée à Sospel
Pendant ma grasse matinée d’hier, ou plutôt ma grasse journée, Louise et Paul, ont pris la relève pour la chambrée éphémère
Comme mes colocs de la veille, les 2 adelphes arpentent le GR5. Je les abandonne ce matin pour reprendre ma route à la fraîche

Je salue du regard la vallée de la Tinée, blottisant sa rougeoyante timidité entre les épaules

Les genévriers se complaisent dans la zone sèche au-dessus du Rimplas
De retour sur les hautes cimes après une longue ascension ombragée bienfaitrice, je déjeune avec le somnolent Grand Mounier au loin

Mes jumelles braquées sur la Cime du Diable corroborent ce que Louise et Paul m’ont colporté : grêle et neige ont sévi pendant ma journée de délassement

Les sommets stériles patienteront, aujourd’hui je batifole au milieu des éclatantes bruyères
Je rends visite aux lacs des Millefonts, aux qualificatifs plutôt trompeurs, et m’arrête au dernier pour bivouaquer
Le terrain est vraiment pierreux, je parviens tout de même à m’installer mais pas vraiment à l’abri du vent glacial

Après la douche frigorique, je m’éclipse derrière le voilage de Simone qui, diable au corps, giguera toute la nuit

Slunce se tmí
A zem v moři tone
V lítých bouřích
Vědma ti zpívá, konec se blíží
Soumrak bohů, Ragnarok
Své ruce vzpíná, k obloze vzhlíží
Soumrak bohů
Deloraine Ragnarok
Au petit matin, je constate que mon campement a tenu bon toute la nuit face aux tumultueuses bourrasques de vent

Comme une envie de tâter de la pierre, je me fais un détour par la cime de Belletz pour une session d’escalade en solo intégral dans les méandres d’un chaos rocheux

Les myrtilliers rougissent à l’idée de se dévêtir à l’automne affleurant

Je continue en m’empiffrant de douceurs acidulées vers les lacs des Adus, dans une agréable partie ombragée, que j’apprécie férocement avec le soleil qui tape
Je remonte ensuite le Boréon jusqu’au lac de Trécolpas, où l’affluence est digne de l’A7 un week-end estival de chassé-croisé

Je m’extirpe des lieux dans un silence minéral plus que reposant

Je pose mon campement au lac de Fenestre, juste avant que l’obscurité ne le grignote
Je rencontre Mathilde, Gabrielle et Maÿlis qui attendaient sagement le coucher de soleil pour planter leurs tentes dans le respect des règles du parc. Elles ont attaqué la grande traversée des Alpes, il y a 3 ans et comptent bien la terminer d’ici peu
Une fois la nuit tombée, la quasi pleine lune fait de l’ombre aux étoiles et scintille dans les vaguelettes, pendant que le déversoir chante et danse
Lorsque le jour libère la vallée des ténèbres, je reprends mon escapade

Je ne me rends pas compte que j’emprunte le sentier cul-de-sac qui mène au lac d’Isoletta, obnubilé par les craquantes dentelles blanches du giron du Grand Cayre de la Madone
J’ai toujours préféré aux voisins les voisines
Qui sèchent leurs dentelles au vent sur les balcons […]
De ma fenêtre en face
J’caresse le plexiglas
Renan Luce Les voisines
Je corrige le tir en dévalant dans le creux de la combe et en remontant sur le flanc en face. Quelques jours auront suffi pour que disparaisse la blancheur nivale du pas du Mont Colomb, je le franchis sans aucun problème

J’y croise quelques randonneurs, regards emmitouflés sous les bonnets, contrastant avec la nudité de ma gorge et de mes bras

Plus loin, je m’émerveille devant 2 bouquetins qui folichonnent sur le toboggan du lac de la Fous

De jeunes chamois pimpants lambinent et continuent de me faire faire des détours jusqu’à la baisse du Basto

But in our minds
And in our dreams
I know that we can feel
Emotionally
Free
Tasting it feels so good
Free
Wanna have it and eat it too
Diablo Swing Orchestra Lady Clandestine Chainbreaker

Derrière le col, mon regard se pose sur les flegmatiques cornes d’un bouquetin, qui rumine paisiblement les rayons du soleil
Hakuna Matata
Mais quelle phrase magnifique !
Hakuna Matata
Quel chant fantastique !
Ces mots signifient
Que tu vivras ta vie
Sans aucun souci
Philosophie
Hakuna Matata
Timon et Pumbaa Le Roi Lion
Vient ensuite la vallée des Merveilles qui me fait ronchonner par rapport à toutes les interdictions qui s’y rattachent : pas de bâtons, pas de bivouac et pas de sortie de sentier

Quelques discrets graffitis préhistoriques parviennent à évaporer mes gromellements de fin de journée

L’imposant Mont Bégo, lieu sacré mais également interdit d’accès, surplombe la vallée aux milliers de gravures rupestres

Bien éreinté, je m’écroule dans la zone de bivouac autorisé proche du refuge des Merveilles
Au milieu de la nuit, j’admire quelques instants la lune plus puissante que jamais, fendant les nuages de pluie
De bonne heure le matin, je quitte la vallée des interdits et j’en profite pour récupérer mes 2 pattes avant manquantes

La zone rocailleuse se teinte de rouge brique à nouveau, elle a probablement inspiré le patronyme de la Cime du Diable

Les mélèzes se faufilent en douceur dans l’automne

À partir de maintenant, les collines se ressemblent toutes, je marche à flanc sur de longues portions et traverse plusieurs anciennes zones militaires
La pluie vient mettre son grain de sel et dure quelque peu dans la descente qui s’éternise

J’arrive au milieu des oliveraies humides à Sospel, avec un dernier détour : la courbe en U que dessinent mes lèvres, joignant mes 2 fossettes rayonnantes
Détails d’étapes :
- 4 étapes
- Ciel bleu et averse de fin de trek
- 74 km
- +4950 m
- -5150 m
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