À la recherche du puits
La journée d’hier étant désastreuse, je suis resté au refuge pour me reposer. J’ai été rejoint par Gabriel dans la soirée, trempé des pieds à la tête. Il trace pour sa traversée des Pyrénées, à une cadence infernale digne d’un allumeur de réverbères, pour espérer être à l’heure à un festival qui lui tient à cœur
Anouk nous a rejoint plus tard, encore plus adorable en vrai qu’au téléphone. Ce matin, je prends mon petit-déjeuner avec elle, après que le soleil et les pépiements des moineaux m’aient doucement extirpé de mon sommeil. Elle me raconte quelques perles des hébergements qu’elle a pu faire. Je me sens flatté quand elle m’annonce que sa population préférée sont les trekkeurs
Je démarre mon étape alors que la rosée scintille arc-en-ciel dans les brins d’herbes
Коли сонце зійде
Не затримуй мене
Якщо хочеш побачити знов

Je débarque relativement tôt dans une suffocante Luz-Saint-Sauveur
Je surnage dans ma sueur et avance tel un zombie. Au milieu des hôtels et des feulements des moteurs, je ne me sens pas à ma place dans la vallée touristique qui mène au célèbre col du Tourmalet

Je préfère revenir à mes moutons des montagnes, loin des moutons des villes

Au lac de Madaméte, un aguerri de la vallée me fait un petit tour des noms des sommets, cols et lacs
Plutôt que de me demander si j’ai l’esprit apaisé en cet instant présent, il me questionne sur mon lieu de repos pour la nuit prochaine. L’astre diurne vient à peine de se lever, les grandes personnes sont décidément très très bizarres

Neige molle et peu épaisse par ici, je franchis le col nonchalamment

Les grenouilles du gourg de Rabas m’accompagnent dans une fabuleuse sieste bronzante

Le bleu turquoise du lac d’Aumar m’a tuer
Je lambine, sous les sifflets des marmottes, au milieu des lacs de la réserve du Néouvielle et papote avec tous les randonneurs que je croise, ravis de profiter de cette formidable journée. Un duo me félicite pour ma traversée pyrénéenne, un peu prématurément je trouve
Daydreamer and a traitor
An idol and a stranger
A voyager and a selfish freak […]
We are the ones we choose us to be

J’imite les locaux et profite des zones d’ombre toute l’après-midi pour souffler entre les portions exposées au soleil

Ma motivation décide de s’arrêter au bord d’un cours d’eau, ce soir c’est dodo avec vaches et marmottes !
En cette matinée brumeuse, j’enchaîne sur un sentier relativement plat, de quoi calmer les moteurs, et une descente bien raide que n’apprécient pas beaucoup mes talons fourbus

Des genêts sur l’herbe, nés en même temps que le soleil, qui se sont habillés lentement et ont ajusté un à un leurs pétales, pour apparaître dans le plein rayonnement de leur beautée, mais j’étais trop jeune pour savoir les aimer
L’après-midi je reprends avec une ascension tranquillement, car préoccupé par mes pieds qui continuent de rouspéter

Ma longue-vue ne parvient pas à repérer d’endroit discret où bivouaquer avant Loudenvielle

Vu que chez moi c’est tout petit, je choisis de me caser dans un sous-bois attenant à la ville

La douce nuit forestière a porté conseil et m’a surtout apporté du repos à mes articulations, je repars tout doux vers de vertes cascades

Étendue d’eau pléonastique, très appréciée des cruciverbistes, le lac d’Oô reste impassible sous les hurlements de la chute d’eau qui l’alimente
Je termine ma journée au lac Saussat, dans un cirque où je m’imprègne de la magie des ténèbres étincelantes

Enivré par la beauté des lieux, je vois double au petit déjeuner
Strong voice and airy lungs
Three lives are not enough
To sing of all the wonders I’ve seen
Au détour d’une corniche de neige embrumée, je rencontre 3 randonneurs plutôt inquiets pour la suite de leur circuit. Je tente de les rassurer en leur précisant que ça sera le seul névé qu’ils auront à contourner pour atteindre le refuge d’Espingo, non-loin de mon dernier lieu de bivouac. Ils me demandent alors si je n’ai pas eu trop froid et n’évoquent nullement la beauté des merveilles minérales alentours, les grandes personnes sont décidément tout à fait extraordinaires

Les joyaux de granit deviennent néanmoins plus hostiles, je m’enlise dans les névés de plus en plus pentus, blottis dans le dense brouillard
Kven skal synge meg
I daudsvevna slynge meg
Når eg helvegen går
Og dei spora eg trår
Er kalde, så kalde
Wardruna
Helvegen

Un abri de berger exigu mais salutaire m’offre une protection contre la grêle qui se rajoute aux émotions de la matinée, je m’installe sur son seuil pour reprendre quelques forces sucrées
La suite se complique encore, cairns dissimulés, pentes herbeuses glissantes, pierriers saillants et courtes sections d’escalade, l’adrénaline joue au flipper dans mon corps en somme

Je souffle à nouveau dans un véritable abri cette fois-ci, notamment pour essorrer chaussettes et semelles

Alors que je grignote à la porte, le temps d’une courte éclaircie, j’aperçois un mur blanc. Droit devant moi, je ne peux pas aller bien loin…
Ma raison, en accord avec mon cœur pour une fois, opte pour redescendre dans la vallée, tant pis pour le large détour. J’embarque 2 boîtes de conserves rouillées millésimées 2022 avant de partir en me moquant de moi-même et de mon projet irréaliste d’aujourd’hui

Les pieds déjà bien imbibés, je n’hésite aucunement pour enjamber les cascades savonneuses

Après la douche dans un petit bain au bord du ruisseau, ma serviette rejoint l’équipe des frusques trempées
Je sors de ma léthargie ce matin avec le haut du corps tout courbaturé des sessions de varappe d’hier. Je me réconforte en me disant que mon étape du jour devrait être plus pépère

J’ai tout de même un micro-cirque à traverser à flanc
Je devine à l’autre bout du semi-cratère 2 randonneurs qui viennent à moi. Donnant-donnant, je leur crée de belles traces dans les névés, et leurs tous petits pieds me laissent également des empreintes minuscules. Raquettes sur leurs sacs à dos, ils ont préféré comme moi ne pas tenter le diable et choisi de randonner plus bas pour leur flânerie de la journée

Planète toute encombrée par un magnifique manteau d’hermine, c’est tout naturellement que je finis par rencontrer sa majesté le roi, surmonté de sa couronne de gentiane

Après leur longue léthargie hivernale, les fougères déroulent leur colonne vertébrale délicatement

Je me fais cadeau d’un moment calme digestif dans le cirque de la Glère, pendant que l’humidité de mes chaussures s’évapore vers les nuages blottis dans le giron minéral

La cabane du Pesson me régale de fée verte et de force Popeyesque pour mon retour prochain au pays de la tortilla
Surprise côté espagnol, les cours d’eau repérés sur ma carte ont passé l’arme à gauche et les lacs s’apparentent plutôt à des étangs rachitiques et vaseux

Je découvre un puits avant le coucher du jour, et, dans l’eau qui tremble encore, je vois trembler le soleil
Le seul névé du coin me procure de la glace pillée. Je l’utilise astucieusement pour une “douche” avec soin exfoliant inclus. J’en mélange aussi avec l’eau marécageuse pour me préparer un cocktail “whisky eau tourbée on the rocks” pour une belle nuitée hydratée, lendemain garanti sans gueule de bois !

J’abandonne une nouvelle fois les frais sommets français pour un azur catalan éclatant
Coup de chaud alors que j’arpente la vallée d’Aran, la fatigue des dernières étapes me pousse à un roupillon ombragé. Mes chastes chausses n’ont pas cette chance, je les agence sans chichi sur une souche sèche pour qu’elles soient archi-sèches, au ressortir, sang chaud et iris chassieux, de ma sieste
J’avance flegmatique jusqu’à Vielha durant l’après-midi

Rendu à la ville catalane, je succombe à l’œillade langoureuse d’un immense lit douillet, sous-classé volontaire de nuitées à 501 622 731 étoiles pour du 2 étoiles
Détails d’étapes :
- 7 étapes
- Grand soleil, brouillard, nuages, brouillard, grand soleil
- 140 km
- +9400 m
- -9400 m
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