Le jardin fleuri
Après une journée à flâner dans les limbes cosmiques de la fatigue, mon système nerveux réclame sa muse des hauteurs, ses rails de poudre blanche ainsi que ses ongles d’ambre et de marbre
Sick and weak from my condition
This lust, a vampyric addiction
To her alone in full submission
None better
Nymphetamine […]
More sugar trails
More white lady laid
Cradle of Filth Nymphetamine
L’indolence des hérons fend l’air alors que je quitte Vielha

Les écureuils quant à eux s’affairent à leur gueuleton matinal
Je croise quelques coureurs lève-tôt qui métissent catalan et castillan lorsqu’ils me saluent essouflés
Mon esprit est lui aussi tout époumoné, un maelström de pensées tempêtueuses le hante aujourd’hui. Je doute de mes capacités à continuer cette aventure

L’Aiguamòg rafraîchit les idées du vagabond éteint et allège son mental pesant lourd sous la chaleur espagnole
Sail away, dead marauder
Stormy seas guide your way
We are yet to see another golden day […]
Never stray, dead marauder
From the path you have made
Til we meet again to make the final raid
Alestorm avec Patty Gurdy Voyage Of The Dead Marauder

Mon moral retrouve le sourire lorsque je rejoins le fantastique cirque de Colomèrs, brillant de mille feux sous l’éclatant firmament

L’herbe asséchée titille la toile de Simone et stimule la circulation sanguine de mes petons lorsque je prends mes quartiers à côté de l’Estanh Obago

L’ombre matinale des sommets m’aident à passer le col sans une goutte de sueur. Malgré la haute altitude, la neige peu épaisse ne présente aucune difficultée

Je sillonne le cœur du parc d’Aigüestortes et lac Sant Maurici pour le reste de la matinée, la puissance et la magnificence des flots ont probablement contribué à son classement en parc national
À Espot, sous un saule qui pleure de chaud, je pique-nique et sieste, en attendant de reprendre sous des auspices plus favorables
Dans l’après-midi, je me volatilise sur d’anciens sentiers forestiers, aussi denses qu’une jungle par endroits, contourne des barbelés et m’incline devant les branches souhaitant me décapiter

Je réapparais proche du gigantesque lac artificiel de la Torrassa, en zone urbanisée
Je n’ai pas trop envie d’eau croupie aromatisée aux pneus de voitures, ayant 53 minutes à dépenser, je marche tout doucement vers une fontaine pour remplir mes auges pour la nuit. Je m’endors dans la chaleur de la vallée d’Àneu, duvet encore roulé en boule

Timide ce matin dans son voile de soie, l’astre solaire se fait voler la vedette par la flamboyante montagne dorée
Un véritable jardin fleuri de genêts, ils ressemblent tous à mes fleurs. Elles ne seraient donc que des genêts ordinaires ?

C’est le temps que tu as perdu pour tes genêts qui font tes genêts si importants me dit le lépidoptère aux couleurs renard
Peu avant ma sieste à l’ombre du village d’Estaon, 7 marcheurs s’accordent également une pause. Cela fait 14 ans qu’ils ont “démarré” la traversée des Pyrénées, portions par portions, de façon erratique. Éreintés, ça ne sera que 3 sections pour cette saison. Une autre randonneuse solo, bien partie pour faire la traversée d’une traite, dans l’autre sens, nous rejoint ensuite

Après une interminable et chaude après-midi, même les hirondelles se posent pour souffler

Je fais de même, bien évidemment au milieu des buissons rutilants
Ce matin, j’attaque alors que les petites choses dorées qui font rêvasser les fainéants brillent encore dans le ciel. Des regards octuples d’arachnides luisent également dans l’obscurité. Lorsque la pénombre recule, les genêts commencent à piailler
Je piétine dans les nuages de poussière soulevés par les cracheuses de dioxyde de cabrón qui circulent dans la vallée. Elle regorge d’élevages intensifs qui déversent quantité de nitrate dans la Noguera de Vallferrera, se trouvant pourtant dans le parc de l’Alt Pirineu. De nombreux panneaux rappellent que le bivouac est prohibé, cela souillerait les environs voyons !
Debout, couché, assis
Ne pas braver les interdits
Tu te faufiles et tu canalises, tu freines […]
Attisé, capitalisé
Mille compromis pour rentrer dans leurs rangs
Elyose Ils t’ont dit
Incompréhensions en travers de la gorge, je tente de faire passer la pilule en déjeunant au bord d’un cours d’eau glacial. Je m’y anesthésie les pieds à plusieurs reprises. Assez paradoxalement, cela me fait me sentir vivant !

Le décor idyllique de la zone alpine regaillardit mon petit cœur éreinté par cette trop longue étape
Je renoue avec cascades, géants minéraux et la mucha nieve contre laquelle m’avait mis en garde un fermier ce matin

Les lacs givrés m’emmènent jusqu’à l’abri que je visais, où quelques balluchons occupent déjà certains matelas

Après mon bain sous la banquise des étangs de Baiau, j’y retrouve 5 espagnols puis 3 autrichiens qui complètent les derniers couchages
Paul, l’un des barcelonais, me parle de sa traversée pyrénéenne effectuée il y a quelques années. Ma journée pesant sur mes épaules, mon énergie me quitte durant les discussions animées et je m’écroule pendant que mes colocs d’un soir cuisinent et dînent
Le lendemain, mes yeux grands ouverts bien tôt, je sors mes affaires dans une nuit silencieuse et fignole mon sac dans une sombre bruine-brouillard. Je navigue à nouveau dans le néant, les pieds dans une neige juste assez dure et très stable

Dans le creux du col, le manteau blanc s’efface et laisse place à un colossal pierrier, acéré et inattendu, qui calme mon cheminement

L’atmosphère andorrane file la chair de poule même aux cairns

Pas de patins à glace dans mon sac à dos, lutz et axels voltigeront une prochaine fois

Un cercle de pierres teintées d’oxyde de fer, m’abrite pour mon petit déjeuner, sous les chatouilles d’un arc-en-ciel dans le parc des vallées du Coma Pedrosa
La pluie m’accueille comme il se doit dans la principauté, à l’instar des randonneurs que je croise, j’arrive à Arinsal rincé. Le moral dans les chaussettes gorgées d’eau, je m’arrête longuement dans un café en attendant la fin de la tourmente. Ironiquement, Purple Rain passe à la radio

Je reprends dans une forêt au silence humide, chevelure verte bien peignée et troncs de bois bien rangés en guise de bigoudis, elle semble sortir du toiletteur sylvestre
Il ne m’en faut pas plus pour que la joie coule dans mes veines, la montagne, même moite, se révèle être exhausteur de positivisme !
Un duo, très curieux sur les détails techniques de mon voyage, m’alpague peu avant ma fin d’étape à Ordino. Ils me demandent comment je recharge mon téléphone, les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules. Je leur explique que je me libère volontairement des phéromones virtuelles et de toute la pollution qui les accompagne
Crave the machine
Revere the screen
Zoom in for flak and misery
Bleed some pixels
Shoot yourself
Pose for the dead
Have a near-life experience
In a hot air matrix
Nightwish Noise
Je rajoute que mon téléphone ne me sert quasiment que de carte topographique, et donc ne consomme guère d’énergie. Et, en cas de besoin, les routes vont toutes chez les hommes où foisonnent les prises électriques
Peu après, je tombe par hasard sur un petit coin de paradis : une “cabane” constituée de quelques branches feuillues, un salon avec des canapés-rondins, une salle de douche et même un étendage pour le linge !

Après ma nuitée savoureuse, je repars en offrant toute ma reconnaissance à cette merveilleuse zone de repos
Lorsqu’on quitte un lieu de bivouac, prendre soin de laisser deux choses. Premièrement : rien. Deuxièment : ses remerciements. L’essentiel ? Ne pas peser trop à la surface du globe.
Sylvain Tesson Dans les forêts de Sibérie

Non loin du lac d’Engolasters, je tombe nez-à-nez sur Caldes, un tamarro andorran, qui me demande de l’apprivoiser

Dans la vallée du Madriu-Perafita-Claror, je fais la connaissance de Luigi, Théo et Tom, avec qui je remonte le courant de la puissante rivière

L’incroyable bon état des abris non gardés de l’Andorre m’impressionne, la principauté veille à être aux petits soins pour les randonneurs !
La pluie de fin de journée me sépare des 3 compères, je préfère m’arrêter au prochain abri pour ne pas tremper à nouveau mes affaires presque sèches

Ce soir, je dîne aux chandelles pour compenser la morsure glaciale du mobilier en métal
Aux 1ères lueurs, je reprends la route alors que les rhododendrons se reflètent dans la teinte rose des nuages

Les ombres finissent de s’étirer, laissant place à un soleil bleuté
Plus loin, je retombe sur les 3 larrons d’hier au lac de l’Illa, en train de martyriser les truites de leurs lignes hameçonnées

De retour au pays de Cervantes, un brouillard ouaté surgit de nulle part et accompagne mon ascension dans une fraîcheur tombant à point nommé
Tout en haut du col suivant, une corniche d’or blanc me barre la descente. Mon empressement préfère laisser les crampons dans le sac à dos et dévisse brutalement au bout de 3 pas

Dans ma dégringolade, j’ai juste le temps de me retourner sur le ventre avant de terminer en roulé-boulé dans les pierres en contrebas

Au pied du mur, aucun de ces serpents jaunes qui vous exécutent en 30 secondes ne m’attend, je m’en sors miraculeusement avec juste quelques égratignures et un bâton en moins, que cela serve de leçon à mon excès de confiance
And you will never guess
How close I was to death
I met my temper touching my dreams
L’esprit décontenancé toute l’après-midi, j’avance avec une “patte avant” en moins, sans trop apprécier les pierres rougeoyantes qui se mélangent aux genêts dorés
En proie à mes songeries, je chemine machinalement jusqu’à un refuge. Le plafond nuageux menaçant, le gardien m’invite à y passer la nuit. Ayant eu ma dose de montagnes russes aujourd’hui, j’accepte sa proposition
Hearing from every town
Stay with us, settle down
Lueur matinale grise à la fenêtre, je plie bagage en ruminant encore à propos des événements d’hier. Le gardien me dégote dans les objets trouvés un immense bâton de ski en guise de prothèse de bras ainsi qu’une paire de lunettes de soleil de fortune pour remplacer celles que j’ai égarées il y a quelques jours

Gazouillis d’oiseaux dans les forêts de pins et nouveau matos remettent mon moral d’aplomb
Je traînaille toute la matinée sous les éclaircies jusqu’à Puigcerdà, où je refais le plein d’énergie lors d’un pique-nique gargantuesque à côté de l’étang

Mon projet de visite de la ville avorte dès que les nuages convergent au-dessus de ma tête
J’ai tout juste le temps de migrer de l’autre côté de la frontière pour installer mon campement avant la plainte tonnante des nuages

Froid de canard et pluie torrentielle, je passe l’après-midi blotti dans mon duvet à siester
Détails d’étapes :
- 8 étapes
- Graaaaand soleil, éclaircies, nuages, brouillard, éclaircies
- 174 km
- +10150 m
- -10000 m
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