Les 43 couchers de soleil
Après une journée entière à papoter de voyages avec des hispanophones, roupiller et m’empiffrer, je reprends le chemin vers les montagnes bleues
Je pensais être sorti du territoire du bemvingut il y a 2 jours, mais autour de moi catalan et castillan continuent de résonner, les cultures s’étalent bien au-delà des frontières

Les conseils de Grand-Mère Feuillage m’accompagnent sur le sentier ombragé

Le jour du 14 juillet
Je reste dans mon lit douillet
La musique qui marche au pas
Cela ne me regarde pas
George Brassens La Mauvaise Réputation
Après ma sieste, je croise un ramasseur de champignons qui attend sagement son compañero à l’ombre. Sa cueillette a été peu fructueuse mais cela ne l’empêche pas d’arborer son magnifique sourire édenté

Le vent ensoleillé ondule dans les prairies aux hautes herbes alors que je m’approche de la vallée des fleurs
Je remonte la vallée à côté du torrent, jaune éclatant des genêts à ma gauche, rose timide des rhododendrons à ma droite

Je termine ma journée au bout de la vallée, où des marmottes peu farouches me rendent visite une partie de la soirée

Au lever du jour, un sage alpin, dressé sur un névé-corniche, me rééduque au franchissement des cols blanchis

Une fois tout en haut, je me retrouve à braver les crêtes sombres et venteuses
Quelques randonneurs intrépides aux couleurs chatoyantes contrastant avec les lieux, manquent de s’envoler. Lesté par mon sac, je parviens à garder les pieds sur terre. Le brouillard vient ensuite rajouter son grain de sel, très rapidement, plus rien n’est visible
Ce massif est en fait une vraie autoroute à randonneurs, les cris de la marmaille perce la brume épaise, une horde de bolides de marque brûlent du caoutchouc dans d’assourdissants hurlements, c’en est trop pour mon petit cœur. Il me donne un ordre raisonnable et m’ordonne de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables

Je brave les interdits et m’installe loin du vacarme, dans un petit bois en pente, sous les mélodieuses bourrasques de vent

À l’aurore, je surprends les isards, affalés dans l’herbe, en plein petit déjeuner, à la manière de la Rome antique
Une enfilade d’imposants blocs blancs dessinent la crête que je longe sous un ciel azur aujourd’hui

L’art celtique moderne s’invite à mon étape sous la puissante luminosité solaire

Le massif du Canigó, en été depuis longtemps, se livre au farniente en se dorant l’échine
À l’intérieur d’un abri, je trouve une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines, probablement celles d’un buveur

Adossé au mur de la baraque pour me protéger du vent, je me réchauffe de l’intérieur avec un verre de tinto pour accompagner mon déjeuner

Alors que je digère tranquillement, je suis rejoint par Leila, Caro et Élodie
On se fait un bout de chemin ensemble, en discutant principalement de randonnées, en français, devenu langue étrangère ces derniers jours

Je les abandonne pour remonter la vallée du Cady, jusqu’au pied du Canigó

Ce soir, je partage mon toit avec Christophe, un habitué du massif qu’il connaît comme sa poche
Pour crapahuter pendant 2 jours, il a difficilement quitté sa vie de businessman. Passer une soirée à admirer les étoiles n’est pas une tâche facile pour lui, il frétille d’impatience de rentrer pour s’occuper de ses étoiles virtuelles. Il les gère. Il les compte et les recompte
À la 1ère heure du jour, il disparaît pour retourner en prendre soin, car c’est un homme sérieux

De mon côté, je profite de la pénombre matinale pour aller titiller le Canigó

Dans la cheminée finale, les blocs cubiques semblent jouer les équilibristes

En vue des
On risque de pleurer un peu si l’on s’est laissé apprivoiser me disent les hautes montagnes que je quitte. Lorsque je me retourne, j’aperçois la Méditerranée pour la 1ère fois depuis le début de mon périple. Aussitôt, j’abreuve de sel lacrymal le pic cher aux catalans
Adieu me disent les hauts sommets. Voici notre secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux
Alors que je redescends du Canigó, je croise une ribambelle de randonneurs, brindilles bariolées de rouge et de jaune à la main pour décorer la croix. Au refuge, Philippe et Nicolas, que j’ai rencontrés au sommet m’offrent une petite mousse avant de reprendre leur courte escapade

Je poursuis la mienne de mon côté, effleurant les volumineux bouquets de rhododendrons

À l’abri où je m’arrête pour la nuit, je fais la connaissance de Claude, Jeff et Laurent
Ils prévoient de terminer bientôt leur traversée pyrénéenne étalée sur 4 ans
Alors que je sors du lit au petit matin, les 3 lascards basques sont prêts à partir pour leur étape démesurée habituelle. De mon côté, je prends le temps de déguster les 1ers rayons de soleil en même temps que mon petit déjeuner

L’horizon crayonne les quelques collines qui me séparent de la Méditérrannée

Sur mon chemin, je croise un berger qui peste de façon virulente contre ces vaches révolutionnaires, avides de liberté, qui font tout pour se faire la malle
Je reste derrière sa voiture, sans dépasser le troupeau, pour ne pas lui rajouter de boulot. Je vis ma matinée au rythme des meuhmeuh et apprécie de ruminer paisiblement le temps

D’un seul coup, le décor change, tout s’assèche subitement, jusqu’à faire surgir des ananas des Pyrénées

Cela n’a pas l’air d’embêter les lézards qui en profitent pour thermoréguler leur système sanguin

La sombre robe des sylvains azurés joue les panneaux solaires pour faire le plein d’énergie lumineuse

Les fleurs locales exhibent leurs appendices de pure méchanceté, de somptueuses épines. Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !

Une forêt aride m’accueille pour la nuit, ses branches finissent de drainer l’eau de mes vêtements lessivés ce midi
Au lever du soleil, un déluge interminable caresse ma tente pendant que, imperturbables, les oiseaux jacassent et un écureuil gracile joue les acrobates. Je démarre au moment d’une pseudo-accalmie, ma matinée déjà bien grignotée par le mauvais temps

Je sillonne le fort de Bellegarde où les biquettes ont la charge de faire la ronde
Alors que je traverse le Perthus, je vois des grandes personnes de très près. J’en entends une évoquer enlèvements à son enfant, et une autre vient même me parler d’assassinat. Ça n’améliore pas trop mon opinion, je fuis cette peur ambiante pour retourner à mes montagnes pleines d’amour et de liberté
There’s a place in my mind
Where you can’t sow your blight
Where nothing flows on but the ether
And the cares of the world become weightless
And I always hear the call
Delain Hideaway Paradise

Taquines, les collines alentours m’envoient un déferlement céleste sans fin, j’en ressors totalement détrempé

Comme une musique, mon pas appelle un renard paréidolique, aux fines oreilles de houx, hors de son terrier. À sa vue, ma vie est comme ensoleillée

Vient le moment où la côte vermeille illumine l’horizon, ma mer intérieure se retrouve aussi sereine que la Méditerranée

Oliviers, vignes, figuiers, bougainvilliers, cigales et machaons deviennent désormais les nouvelles vedettes
Je repousse l’échéance de la fin de mon périple en traînant la patte, mais inéluctablement, les embruns de la grande bleue finissent par me caresser les narines

Une fois les pieds dans les vaguelettes, quelques millimètres d’eau salée ruissellent sur mes joues jusqu’à la fine écume
Від краю і до краю
Я не шукаю раю
Бо мандри найдорожчі мені
À plusieurs reprises, je tire ma chaise de quelques pas, pour aller chercher mes 43 couchers de soleil

Et c’est dans un fabuleux feu de joie que s’achève mon périple
Détails d’étapes :
- 8 étapes
- Valse du soleil entre brouillard, nuages, pluie et éclaircies
- 168 km
- +8250 m
- -9350 m
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