Le ciel a fulminé toute la nuit, je me réveille avant le jour. Une fois mon sac prêt, j’attends sagement que son chagrin se calme pour entrer dans le royaume de Zlatorog

Germaine n’est d’ailleurs pas la bienvenue par ici, ma progression va être contrainte par les refuges. Doutes et craintes envahissent ma poitrine

La Sava Dolinka, hier turquoise, laisse exploser ses tourments

I’m only happy when it rains
I’m only happy when it’s complicated
And though I know you can’t appreciate it
I’m only happy when it rains
[…]
Pour your misery down
Pour your misery down on me

Garbage Only Happy When It Rains

La Triglavska Bistrica parvient à contenir ses contrariétés

Une portion de la muraille de calcaire se dresse devant mes yeux. Ma fenêtre de tir étant mince, je ne tergiverse pas, presse le pas et… Oh une salamandre !

Miha : Ô amphibien au tempérament ardent, toi qui te nourris de feu et commande également son extinction, saurais-tu éclairer ma lanterne concernant Zlatorog ?
Aleksandra la salamandre : Nul besoin d’aviver quelconque flamme en toi, un brasero de liberté guide ton cœur ! Ne traîne pas trop cependant, le feu du ciel pourrait mettre à mal ce brasier

Vinur, vinur sært tú megAmi, ami peux-tu me voir
Gangi her í tokuni?Marcher ici dans la brume ?
Hevur tú reikað líka sum egAs-tu erré comme moi
Í deyðadjúpu kvirruni?Dans le silence profond de la mort ?

Eivør Í tokuni

Lorsque j’aperçois le refuge dans la brume, je me sens allégé de tous mes doutes. Olga, qui s’occupe des lieux, m’explique que le gîte n’est pas encore vraiment ouvert pour la saison. Cependant, aucun problème pour que j’y passe la nuit un peu avant le jour officiel d’ouverture rajoute-t-elle

En plus de gérer 2 autres refuges, elle est aussi la présidente de la planinska zveza Slovenijel’association alpine de Slovénie du coin. Et à côté de ça, comme si cela ne suffisait pas, elle travaille également dans le support informatique

À peine les présentations terminées, le ciel se met à battre du tambour et immédiatement les jeux de lumière suivent la cadence

Les réserves d’eau de pluie du refuge au plus bas, je révise, toute la soirée, mes diagrammes de phases auprès du poêle, particulièrement la courbe de fusion

Au lever de soleil, le point culminant de la Slovénie sort tout embrumé de sa nuit

Jusqu’au Triglav, la demeure de Zlatorog, je piaffe d’impatience et avance en équilibre entre ombre et lumière

🎵 Au p’tit matin
Rêveur, tout glam’, y’a le p’tit prince
Qu’est venu chez Zlat’, pour lui serrer la pince
Mais comme il était parti, le p’tit prince a dit :
Puisque c’est ainsi j’poursuis ma rhapsodie 🎵

Se retrouver avec une tour de zinc et de fer sur son lieu de repos, je veux bien comprendre que Zlatorog ait déguerpi pour élire domicile sur une autre cime. Il n’a que l’embarras du choix par ici, cela ne va pas faciliter mon enquête

Le refuge suivant n’est pas encore ouvert lui non plus, conformément à ce que m’avait annoncé Olga. Néanmoins, depuis celui-ci, j’aperçois poindre au loin la tête du Razor. Je redouble d’endurance et m’y dirige prestement

C’était sans compter sur la vallée cachée entre les sommets, qui m’offre une descente ainsi qu’une montée, pas vraiment anticipées par mes guiboles. Cependant, en compensation, elle m’a gardé un beau névé au frais pour remplir mes auges vides

Au col de Luknja, je découvre, pantois, le mur de calcaire gravi hier à l’aveugle dans le brouillard. Le sentier zigzague d’en-bas, sur les zones vertes, pour tirer ensuite en ligne droite, jusqu’au refuge, logé dans le creux de l’épaule du massif

Je trouve des soleils nouveaux, minuscules, qui rallument la flamme fourbue, pour mon ascension jusqu’au Bovški GamsovecGamsovec de Bovec, sommet au patronyme évoquant les chamois (gams signifie “chamois” en slovène)

Avguštin le bouquetin : Tu m’as l’air bien harassé humain à 4 pattes
Miha : Effectivement, ma journée s’éternise
Avguštin le bouquetin : Un peu plus loin, sous le Razor se trouve une tanière à humains, tu devrais pouvoir te délasser là-bas

Au refuge, je partage ma table avec un groupe de 3 allemands, des amis ayant l’habitude de marcher régulièrement ensemble. Je dévore mon repas comme un mort-de-faim entre les anecdotes échangées

J’entraperçois furtivement Maileen qui rentre d’une baignade au lac. Ma journée à rallonge m’aura au moins permis d’avoir de ses nouvelles. Elle a juste le temps de me raconter qu’elle a dû renoncer au Triglav à cause de la météo désastreuse, avant que je m’écroule sereinement dans mon lit

Un dodo requinquant plus tard, je sillonne jusqu’au Razor

Pas âme qui vive sur la glaciale cime au petit jour, peut-être aurai-je plus de chances au Prisonjik dont j’épie le réveil ?

À l’ombre du dernier être feuillu avant la montée, j’ingurgite quelques calories que mes gambettes vont utiliser immédiatement

Au Prisonjik, je ne croise que de rares randonneurs, plutôt pressés de redescendre. Dans le silence ambiant, paisible et nostalgique intérieurement, je prends le temps de regarder dans le passé, le Triglav d’hier et le Razor de ce matin, sous la couverture nuageuse

De ses 2 yeux, appelés localement oknafenêtres, le Prisonjik veille à la tranquilité de la vallée de la Suha PišnicaPišnica Sèche. Au milieu de ma descente, je tombe sur l’une de ses prunelles qui semble vouloir orienter mon chemin vers le col de VršičPetit Pic

Alors que je continue ma dégringolade, mes pas croisent ceux de Maileen qui montent jusqu’à l’œil. Elle n’a pas l’intention d’aller jusqu’au sommet, juste de passer à travers l’œil de la montagne.

Je conte fleurette aux edelweiss qui abondent autour du sentier

De l’autre côté du Prisonjik, l’œil aperçu plus tôt n’est pas visible, caché quelque part dans les renfoncements de droite, mais l’autre se dévoile, microscopique, en haut à gauche. Une voix résonne soudain dans ma tête, un visage m’apparaît alors dans la falaise, l’appel semble provenir de la figure de pierre

La jeune fille païenne : Ne t’inquiète pas pour ton amie, je veille sur ses pas
Miha : Je… Euh… Pardon ?
La jeune fille païenne : Oh, je ne me suis pas présentée, je suis l’ajdovska deklicala jeune fille païenne. Depuis que j’ai été pétrifiée, je guide les montagnards dans ces massifs
Miha : Mais que t’est-il arrivé ?
La jeune fille païenne : Auparavant, j’étais une Sojenica, une divinité du destin. Au-dessus du berceau d’un nouveau-né, j’ai prophétisé qu’il deviendrait un brave chasseur et qu’il traquerait Corne d’Or jusqu’à la mort. Mes sœurs n’ont pas apprécié mon blasphème et m’ont changée en pierre
Miha : Je suis justement à la recherche de Zlatorog, ta prophétie s’est-elle réalisée ? Ou pire, serais-je ce chasseur ?
La jeune fille païenne : Toi, un chasseur ? Pas besoin d’être une Sojenica pour lire en tes louables intentions. Et pour ce qui est de ma prophétie, elle n’a plus lieu d’être depuis ma pétrification, file donc accomplir ta mission !

De longues heures passent avant que Maileen ne me rejoigne au refuge. Autour d’un pasulj, un ragoût aux haricots, elle me raconte son interminable descente depuis l’œil du Prisonjik

Épreuve de Fort Boyard pour l’échauffement matinal !

Le Jalovec, ma prochaine destination, se dévoile tout doucement derrière le panorama de broussaille

Je rétracte mes pattes avant pour mieux appréhender l’ascension dans les craquelures du goliath

Les promeneurs qui finissent leur journée semblent marcher sur la ligne de démarcation entre le ciel et la montagne

Le sauvageon se fait sauvastika pour Svarog, le salvateur souverain slave

J’envoie mon âme d’enfant à la sieste, juste le temps de redescendre proprement de l’éminent pic qui figure sur le logo de la planinska zveza Slovenijel’association alpine de Slovénie. En chemin, mes pensées se heurtent aux discussions de Maileen et d’une néo-zélandaise en train de monter, je leur donne rendez-vous pour le dîner

Au refuge, je fais donc la connaissance Jane et Chris, eux aussi venus en découdre avec les montagnes de Slovénie

Les kiwis, qui ont plutôt l’habitude d’être sur des deux-roues mus par de l’huile de genou, me racontent leurs nombreux périples de cyclo-voyageurs. Leurs anecdotes improbables autour du monde foisonnent et décorent la soirée du chaleureux gîte de nombreux éclats de rire

Sanja et Janja, qui gèrent le refuge, malgré leur absence d’expérience, s’en sortent admirablement, notamment au niveau culinaire. Elles cuisinent devant nos yeux affamés une pita krompiruša, une tourte aux pommes de terre, à laquelle nous saurons faire honneur, avant la part de gâteau au chocolat et la nuitée qui suivront

Mon enquête piétine, je parviens à garder les idées et les béquilles fraîches le long des flots de la Soča aujourd’hui

Je retrouve mes 3 compères de la veille au restaurant du village, pour une pizza et des Bovški krafikrafi de Bovec, chaussons fourrés à la poire et aux noix, en guise d’au revoir à Maileen

Elle a en effet un entretien vidéo demain, elle préfère donc rester à Trenta pour être sûre de disposer de phéromones d’ondes potables. Jane, Chris et moi-même, qui continuons notre épopée demain, lui souhaitons bonne chance

Je sombre dans le pays des songes dans un mélange de mélancholie et d’allégresse, triste que nos routes se séparent, et ravi d’avoir partagé valeurs et inoubliables fragments de nos vies

Détails d’étapes :

  • 5 étapes
  • Nuages et éclaircies :cloud: :sun_behind_small_cloud:
  • 65 km
  • +6450 m
  • -6450 m

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